Le Buzludzha, vestige du communisme bulgare
Nous avons dû traverser les plaines du centre de la Bulgarie pour nous rapprocher des montagnes des Carpates au Nord du pays. Un long trajet qui nous a permis de découvrir ce pays encore mal connu des touristes français, notamment son passé communiste au sein de l'ancien bloc soviétique et dont le paysage reste parsemé vestiges de cette période.
Niché au sommet d'un des pics de la chaîne montagneuse, siège une immense structure de béton, ancien étendard hors-norme du communisme de l'époque : Le Buzludha.
Arrivé au pied des montagnes, il nous faut encore une heure d'ascension sur une route de plus en plus dégradée où nous finissons par rouler au pas pour éviter les immenses ornières de la route qui semble toute aussi abandonnée que la structure que nous allons voir.
Soudain, au détour d'un virage, il apparait au loin. Imposant, écrasant même, le Buzludzha contraste dans le paysage naturel. Juché au sommet d'une montagne déboisée, il est visible de très loin et immédiatement reconnaissable à sa forme de soucoupe surmontée de cette immense flèche.
Enfin arrivés à proximité, nous laissons la voiture sur le bas côté, finissant les dernières centaines de mètres à pieds, la route étant barrée par des blocs de béton. L'édifice est tellement immense que l'esprit à du mal à en réaliser les dimensions. Ce n'est qu'une fois arrivé juste devant que l'on mesure les proportions hors-normes de la structure entièrement constituée de béton.
Juchée sur un pic, nous pouvons admirer la vue sur la chaine des Carpates s'étendant au Nord jusqu'à l'horizon. Coté Sud, la vue offre un panorama sur les plaines que nous venons de traverser. Nous passons un petit quart d'heure à faire le tour du bâtiment à l'ombre de la coupole, se tordant le cou pour observer la flèche et ses étoiles rouges.
L'extérieur est marqué par les années: le béton s'effrite par endroits laissant apparaitre l'armature métallique, des gravats tombés de la coupole jonchent le sol et de nombreux tags ornent les murs jusqu'à hauteur d'homme.
Les entrées sont murées, ou condamnées, malgré tout quelques aventureux arrivent encore à s'introduire à l'intérieur grâce à des grapins permettant d'accéder au chemin panoramique parcourant le tour de la coupole supérieur.
Le policier chargé de surveiller le site effectue d'inlassables rondes autour du bâtiment, nous l'apercevront au loin et préférons rester discret, ne sachant pas trop s'il est autorisé ou non de se promener aussi près du bâtiment.
Les dimensions du Buzludzha sont disproportionnées, se retrouver au pied de ces murs immenses nous fait comprendre le but de ses bâtisseurs: en imposer au maximum, véritable démonstration de puissance pour rappeler aux visiteurs combien le régime de l'époque était solide et implacable.
Nous décidons ensuite de gravir à pieds le sommet voisin afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble du bâtiment. Nous attendons que le policier soit revenu dans sa guerite pour partir marcher sur la crète herbeuse en toute discrétion.
Une fois arrivés, la vue était imprenable, presque une scène de science-fiction avec un vaisseau spatial échoué dans le paysage façon 2001 l'Odyssée de l'Espace. Le vent glacial qui nous gelait n'arrangeait en rien ce ressenti bizarre, mélange d'admiration et de glauque que la structure dégageait.
Nous sommes ensuite repassés discrètement le long du bâtiment pour rejoindre la voiture et rebrousser chemin, en évitant toujours soigneusement de se retrouver dans le champ de vision du garde.
La maison du Parti communiste bulgare, son vrai nom, a été inaugurée en 1981 sur un des plus hauts sommets Bulgares. Ce lieu n'a pas été choisi au hasard car cet endroit en 1868 il fut le lieu de la dernière bataille entre les Bulgares et les Turcs, et a aussi servi en 1891 quand les socialistes, menés par Dimitar Blagoev, se réunirent secrètement à cet endroit pour organiser le mouvement socialiste.
Haut lieu de l'histoire du socialisme Bulgare, il fut construit pendant 7 ans par le Génie Militaire de l'armée bulgare, il fut financé principalement par des dons partisans via une souscription publique, officiellement libre, mais tout de même lourdement conseillée par l'état.
Bâti dans le plus pur style brutaliste, si cher aux dictateurs du bloc de l'Est, le bâtiment ressemble de loin à une gigantesque soucoupe volante surmontée d'une flèche en béton de 70m de hauteur ornée de part et d'autre des deux fameuses étoiles rouges en verre qui s'illuminaient de nuit.
Ce étoiles, mesurant plus de 12 mètres à elles seules, étaient sensées être visibles depuis n'importe quel point en Bulgarie.
L'intérieur était composé de gigantesque mosaïques de marbre et de verre, reprenant des thématiques communistes et soviétiques, des scènes de batailles glorieuses, d'immenses portraits des figures politiques de l'époque, de Lénine, Marx, Engels, ainsi qu'au plafond l'emblème de la faucille et du marteau.
Cette salle de réunion n'aura connu qu'une activité de 8 ans, entre son ouverture et la chute du régime communiste en 1989. Depuis ce jour elle est restée totalement à l'abandon.
D'abord pillée de son mobilier, elle attira vite nombre de curieux, de nostalgiques voulant ramener un souvenir, puis les plaques de cuivre recouvrant la coupole et assurant son étanchéité furent volées, accélérant la dégradation de l'immense bâtiment et notamment de ses mosaïques qui ont beaucoup souffert des infiltrations d'eau.
Depuis la chute du régime communiste, la propriété en était revenue à l'état bulgare, qui n'a jamais montré grand intérêt pour le bâtiment, malgré quelques projets de rénovation évoqués à la fin des années 90.
Le Buzludzha a fini par être rétrocédé au parti socialiste bulgare en 2011. Le Premier ministre bulgare, Boïko Borissov a déclaré à cette occasion : « Nous allons les laisser en prendre soin parce que nous pensons qu’un pays qui ne respecte pas son passé et ses symboles n’a pas d’avenir ».
« Ce monument, unique en Europe, une fois restauré, attirera beaucoup de touristes, notamment occidentaux. C’est un témoignage historique impressionnant », répond Boytcho Bivolarski, dirigeant régional des socialistes.
Cependant, depuis ces belles déclarations, à l'instar de la synagogue de Vidin, aucun projet n'a encore abouti et aujourd'hui encore, le Buzludzha est toujours livré à lui même continuant de se dégrader lentement au fil du temps.
Seules quelques mesures, comme l'installation d'une guérite avec un garde pour surveiller sur le site et les entrées qui ont été murées en 2018, permettent de limiter les dégradations et le vandalisme de la part des visiteurs plus ou moins bien intentionnés.
En 2020, une initiative venant de la part d'une association de passionnés d'histoire, menée par un architecte, à été mise en place dans le but de préserver les mosaïques à l'intérieur du bâtiment. Des travaux de consolidation et de démontage des œuvres seraient donc actuellement en cours pour les protéger des dégradations et du vol qui s'est intensifié ces dernières années avec la hausse du "tourisme rouge".