Les ruines de la grande synagogue de Vidin, Bulgarie.

Un des rares ponts enjambant le Danube, qui fait office de frontière entre la Roumanie et la Bulgarie, se trouve tout à l'Est du pays, précisément au niveau de la ville portuaire de Vidin coté Bulgare, ou Calafat coté Roumain.
Nous avons franchi ce pont très tôt le matin, alors que le soleil ne commençait que timidement à disperser la brume à la surface du Danube endormi. Vidin est une petite ville surtout connue pour son port de fret et son antique et impressionnante forteresse "Baba Vida" construite à partir du Xème siècle sur les rives du fleuve.
A quelques encablures de cette forteresse se trouvent les restes de ce qui fût jadis la plus grande synagogue de Bulgarie. Aujourd'hui en ruine, encerclée par des immeubles aux façades lépreuses, elle n'en reste pas moins imposante et son histoire est particulièrement intéressante.
Le terrain où est située la synagogue est entouré de grillages défoncés, et quelques panneaux en écriture cyrillique indiquent qu'il est interdit d'y pénétrer, mais au vu des chemins tracés dans les herbes hautes, bien peu de gens semblent s'en soucier. Nous sautons donc ce grillage pour nous approcher de ces murs de briques où l'enduit blanc a presque totalement disparu.
Lorsque nous entrons par une des portes latérales, nous nous retrouvons donc aussitôt dans la pénombre offerte par les coursives du 1er étage. Le vaste espace central, à ciel ouvert, est couvert d'une végétation luxuriante, il y pousse même de jeunes arbres. Longeant les coursives, nous faisons le tour du bâtiment, passant devant la porte d'entrée, pour avoir une belle vue en perspective du rez de chaussée, des colonnades et des arches soutenant le 1er étage.
Ce premier étage est accessible via deux escaliers en béton postés de part et d'autre de la porte d'entrée, sous les tours. Totalement délabrés, nous nous y engageons prudemment, enjambant les bombes de peinture vides et les canettes brisées.
D'en haut, la vue nous permet d'embrasser la totalité de l'intérieur, ses perspectives, et même les tours aux 4 coins.
Les voûtes entre le premier étage et le rez de chaussée semblaient avoir été bétonnées et ferronnées pour renforcer la structure et éviter qu'elles ne s'effondrent. Probablement la seule chose positive réalisée pour sa survie.
La partie supérieure de l'édifice est celle qui semble avoir le plus souffert des intempéries, de nombreuses briques jonchent le sol et des fissures immenses courent le long des murs.
Notre visite sera brève, vu la précarité de la synagogue, mais aussi car nous avons aperçu depuis l'étage une voiture de police se garer devant le terrain. Pensant qu'ils venaient nous voir, nous sommes redescendus, et les policiers nous ont observés sortir, finalement totalement indifférents.
Bâtie en 1894 par deux architectes italiens dans un style Néo-gothique, cette synagogue avait été conçue dans le but de fédérer les populations juives de tout le Nord-Ouest du pays, elle était à l'époque le plus grand édifice religieux juif du pays et l'est restée jusqu'à sa chute.
Remplissant son rôle pendant plus de 50 ans, c'est la 2ème guerre mondiale qui précipitera son abandon.
A l'époque la Bulgarie se range du coté des forces de l'axe, les juifs y sont rapidement mis à part et stigmatisés, bien que le roi Boris III refusa à Hitler de déporter les "citoyens juifs", ils furent tout de même expropriés et obligés de quitter les villes. La synagogue fût finalement fermée par l'état à partir de fin 1942.
A la fin de la guerre, environ 1200 juifs revinrent s'installer à Vidin et une très brève période de reprise d'activité eu lieu malgré différents pillages et dégradations subits pendant le conflit. 
Lorsque l'état d'Israël fût nouvellement créé dans les années 50, la quasi-totalité de la communauté restante décida d'y immigrer, scellant une fois pour toute le destin de ce gigantesque bâtiment.
Ensuite confisquée par l'état communiste, elle restera ainsi porte close pendant une trentaine d'années, se dégradant lentement au fil des ans. 
Mais ce qui a précipité sa ruine fût paradoxalement une tentative de rénovation entreprise par l'état sous la pression des populations locales, manifestant pour conserver leur patrimoine.
Au début des années 80, La première étape des travaux avait pour but de consolider la toiture afin d'éviter que les infiltrations d'eau ne dégradent de manière irréversible la structure. Le toit et la charpente furent donc retirés et une nouvelle toiture métallique, provisoire fut amenée sur le site. Pour l'installation, une immense grue avait été installée au milieu du bâtiment désormais à ciel ouvert. 
Cependant, en 1986, l'état communiste commença à glisser doucement vers sa chute, notamment à cause de problèmes économiques (inflation galopante). Cette chute du régime s'achèvera en 1990. Manquant de fonds, le projet parmi bien d'autres fût stoppé net et le chantier manqua de financement du jour au lendemain.
Alors que l'ancienne charpente avait été démolie et que la nouvelle patientait dans l'herbe, la grue de montage fut retirée et le chantier évacué. Laissant donc la synagogue sans aucune toiture ni même protection provisoire.
A partir de ce moment là personne ne sembla réellement s'en préoccuper, elle tomba dans l'oubli du bouleversement politique entrainé par la disparition de l'URSS, laissant la structure se délabrer à grande vitesse. Le chantier ouvert aux quatre vents attira nombre de squatteurs, pilleurs et simples curieux, accélérant encore la descente aux enfers de la jadis majestueuse synagogue de Vidin.

Elle ne sera rendue aux autorités religieuses qu'en 2009, passant donc encore 10 années supplémentaires totalement livrée à son sort. La synagogue passa ensuite entre les mains de Shalom, l’organisation des Juifs de Bulgarie.
A partir de ce moment plusieurs projets de rénovation furent envisagés, restauration à l'original, transformation en lieu profane (musée, salle de bal, théâtre...) sans qu'aucun n'aboutisse ou ne se concrétise. Et pendant se temps là, le temps continuait sont œuvre sur l'antique bâtiment religieux, qui aura passé plus de temps à l'abandon qu'en activité. 
Finalement Shalom, se résignant devant les budgets colossaux exigés pour restaurer un bâtiment de cette dimension, se résigna à rétrocéder la synagogue à la ville de Vidin en 2017 à condition que celle-ci soit rénovée à l'identique extérieurement et que l'intérieur abrite un centre culturel portant le nom du peintre français bien connu Jules Pascin, qui a vu le jour dans la communauté juive de la ville danubienne, poursuivant ainsi le projet principal de Shalom, mis en avant depuis 2009.
Le maire, Ognyan Tsenkov, accepta l'offre, déclarant que toute le commune, bien au delà de la communauté juive, souhaitait que ce patrimoine historique et culturel soit sauvegardé.
Stanislavov, l'architecte en charge du projet expliquait alors:
 « Elle sera réaménagée en une salle polyvalente à l’acoustique excellente ce qui lui permettra d’accueillir des concerts, des expositions, des rencontres et, pourquoi pas des fêtes. Son deuxième niveau sera réservé à des expositions permanentes, liées à l’Holocauste et à la riche œuvre de Jules Pascin. Il y aura aussi la bibliothèque ainsi que des locaux pour accueillir les activités de Shalom. Mais encore, l’édifice sera ouvert aux visites et les touristes auront la possibilité de s’acheter des objets de souvenir, des livres et des brochures consacrés à son histoire. Le centre sera une nouvelle acquisition pour la ville, qui possède déjà une vaste salle de sport, mais toujours pas d’espace culturel. »
Bénéficiant de financements dans le cadre du programme opérationnel Régions en croissance et d’un prêt du fonds pour le développement urbain, la projet à pu obtenir un enveloppe totale de 5 millions d'euros. Le maire indiquant espérer que la synagogue entre dans son nouveau rôle d'ici la fin de l'année 2019.
Mais depuis, rien de concret ne semble avoir accouché de toutes ces paroles encourageantes, notre visite du site s'étant déroulée par une froide matinée du mois de novembre 2019, nous avons pu constater que rien ne semblait avoir bougé depuis très longtemps, la toiture métallique disparaissant dans les herbes hautes est totalement dégradée aujourd'hui. Le bâtiment, plus abimé que jamais, couvert de graffitis à l'intérieur et livré à la météo rigoureuse de la région venant à bout des briques de ces antiques murs.
Depuis 2018, aucune communication n'a eu lieu à propos du projet, ni de la part de la mairie de Vidin, ni de la part de Shalom qui normalement supervise toujours les opérations.  Les passants avec qui nous avons essayé de discuter, peu loquaces, semblent résignés au fait que le bâtiment restera encore longtemps livré à lui-même.
Aymeric Neau.
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