Je connaissais déjà le Maroc pour y avoir été quelques années plutôt, à Fès. Cependant, Essaouira est une ville assez différente, tant par son ambiance que sa situation géographique.
Je suis parti là-bas dans le but de réaliser un reportage photo pour un centre de voyages & excursions qui venait d'ouvrir dans cette ville. Le boulot étant assez peu contraignant j'ai eu largement le temps d'explorer la ville et sa région de mon coté.
La route entre Marrakech, où nous avions atterri, et Essaouira sur la côte était une immense ligne droite à travers un paysage désertique. Des nuages de poussière et de sable masquaient le peu de lumière arrivant à percer au travers du ciel chargé de nuages sombres. Un village de quelques maisons surgissait de temps en temps, tout aussi poussiéreux que le désert qui l'entourait. Les habitants semblaient vivre au ralenti, traînant sans but apparent au bord de la route ou bien assis sur des sièges en plastique devant les bicoques orangées.
Nous sommes passés au travers plusieurs barrages routiers tenus par la police locale où il fallait filer un bakchich au chef pour qu'il nous laisse passer. Un racket organisé qui ne choquait pas notre chauffeur, apparemment habitué à la manœuvre et avait même prévu les billets à l'avance sur son tableau de bord.
On a perdu au moins 30 minutes lors d'un de ces contrôles car un flic avait décidé que la voiture n’était pas en règles pour une raison douteuse et pas claire. Le chauffeur avait dû parlementer avec lui de longues minutes à grand renforts d’engueulades et de billets changeant de mains, avant qu'on puisse repartir, tandis qu'on se faisait petits à l'arrière du van.
Nous nous sommes ensuite arrêtés sur le bord de cette route dans un bouis-bouis pour manger un repas sur le pouce, quelques galettes, un morceau de poulet et nous étions repartis.
En arrivant à Essaouira, nous avons été reçus par l'équipe du centre pour lequel nous allions bosser, des mecs locaux tous jeunes avec qui nous avons vite sympathisé.
Notre hôtel était situé au cœur de la médina, le centre de la vieille ville. Un antique bâtiment tout en faïences et arabesques avec beaucoup de charme. Le directeur du centre nous a ensuite conduit dans un restaurant traditionnel à quelques rues de là pour y manger un excellent couscous.
Le lendemain, nous avions quartier libre, le tournage ne commençant que le jour suivant.
On a donc pris le temps de visiter la médina, cet ensemble de ruelles tortueuses entouré du murailles, avec de très nombreux commerces, marchés et échoppes diverses.
Il fallait parfois se faufiler derrière une porte en bois pour découvrir une petite place grouillante d'activité souvent farfelues à nos yeux d'occidentaux. Il y avait aussi beaucoup de boutiques "à touristes" vendant des gadgets et des objets soi-disants locaux "made in china".
Cependant un grand nombre de commerçants offrent des étalages fascinants, tant par leur savoir-faire, leur débrouillardise, que par la beauté de leurs produits.
On y croise pèle-mêle des vendeurs de fruits, des tanneurs, des réparateurs de vélo, des bédouins venus vendre pour quelques jours des produits fabriqués par leur tribu, des herboristes avec des produits aux pouvoirs presque miraculeux, des antiquaires, et bien sûr des vendeurs de shit à la sauvette à chaque coin de rue..
La ville est parcourue par un nombre impressionnant de chats à moitiés sauvages. Il y en a littéralement partout à dormir sur les chaises des terrasses, les trottoirs.. J'en ai même vu plusieurs fois planqués sur des étalages de tissus ou de vêtements. Les habitants ne semblent pas dérangés par les chats, mais plutôt totalement indifférents, comme s'ils n'existaient pas. Beaucoup de chats sont d'ailleurs mal en point, blessés ou malades.
Redoin, le directeur du centre nous expliquait que des associations, anglaises notamment, venaient s'en occuper plusieurs fois par an, prodiguant des soins et en stérilisants autant de chats qu'ils pouvaient pour éviter une surprolifération.
Au delà des rues animées de la médina, on s'est ensuite baladé dans les ruelles des quartiers d'habitations, avec des bâtiments tout aussi tortueux et anciens que la Médina. L'endroit est très très contrasté, les rues étant quasiment désertes, et pourtant à quelques dizaines de mètres de la frénésie du centre.
Il existe aussi plusieurs places ou rues spécialisées dans un type de produit, tels que la rue des bouchers, où vous pouvez trouver des carcasses de bœufs pendues directement dans la rue, des têtes de dromadaires.. le quartier des tanneurs à l'odeur épouvantable, ou encore le marché couvert des poissonniers, vendant leurs produits frais tout juste remontés du port à quelques centaines de mètres de là.
C'est une ambiance grouillante, bruyante, aux milles senteurs et couleurs, les gens sont souriants et agréables, même si je pense que cela était surtout dû au fait qu'en tant qu'européens on représente à leurs yeux un fort potentiel de dépense.
Nous avons aussi passé tout un moment à observer et bavarder avec les travailleuses d'une petite production locale d'huile d'argan. En effet la région d'Essaouira comprend énormément de plantations d'arganiers, et son exploitation est un savoir-faire ancestral de la région.
Le soir venu nous avons profité de l'immense baie et sa magnifique plage pour aller regarder le coucher du soleil, loin de l'agitation de la ville. La balade sur le remblai interminable est très agréable, la plage est vraiment immense (plusieurs kilomètres de long) ce qui permet de ne pas se retrouver trop collé au autres badauds.
Le lendemain matin, avant de commencer à travailler, je suis allé me balader sur le port, au pied du fort. Quartier encore calme le matin, on y croise de nombreux bateaux de pêche à quai, avec les marins sur les jetées en train de démêler et réparer les filets avant le prochain départ. Des nuées de mouettes leurs tournaient autour, espérant glaner les restes de poissons jetés à même le sol.
Les cargaisons de poissons des bateaux rentrés dans la nuit étaient en train d'être déchargées, j'observais les coursiers faire des allers-retours avec des caisses de glace pour les transporter jusqu'au marché le plus vite possible.
Dans une des cales se trouvaient pleins de barques bleues attachées les unes aux autres, celles-ci servaient pour la pêche à la ligne à proximité des côtes. Ce sont d'ailleurs souvent les marins des chalutiers qui les utilisent durant leurs jours de repos pour arrondir leurs fins de mois.
On s'est enfin mis au travail pendant deux jours consécutifs, photographiant et filmant les activités sportives du centre, on a donc passé une journée entière sur la plage, à shooter les cours de kite et de surf, avec en prime une démo impressionnante d'un des moniteurs, ancien pro, qui nous a permis de saisir de belles images.
Nous avons ensuite couvert l'équitation, en partant d'un ranch à l’extérieur de la ville, nous avons suivi le cortège à l'aide de quads à travers les dunes puis sur la plage pour avoir des plans dynamiques en mouvement. Ce ne fut pas une chose aisée, nous devions alterner le conducteur, tandis que l'autre à l'arrière filmait ou photographiait en se tenant uniquement avec les jambes.
Avec la chaleur, ces deux journées furent épuisantes et nous ne faisions pas long feu le soir venu.
Il faisait un grand ciel bleu le jour suivant, on en a donc profité pour reprendre les quads du centre équestre qui nous avaient servis pour le tournage afin de se balader dans les dunes faire des photos et notamment aller voir les ruines du palais de Sidi Mohammed Ben Abdallah, fondateur de la ville d’Essaouira, à moitié recouvertes de sable.
Nous sommes d'ailleurs tombés sur deux dromadaires se reposant à l'ombres des murs du palais, sans personne aux environs. Probablement laissés là par un guide de passage.
L'exploration du palais ne fut pas très longue, son état étant très dégradé et les dunes reprenant le dessus petit à petit, ayant recouvert une bonne partie des restes de l'habitation royale.
L'après-midi, Redoin nous a emmené dans l'arrière-pays, à une heure de la ville dans le désert. Nous sommes arrivés dans un village parcouru par des vents poussiéreux, aux maisons basses couleur sable. Des artisans et paysans de toute la région se regroupaient sur un grand terrain à la sortie du bled constituant une sorte de marché anarchique où l'ont trouvait de tout. Notamment un espace était entièrement dédié au bétail, achat et vente de bêtes, des troupeaux de dromadaires, d’ânes, de moutons, de chèvres, de volailles diverses.. Un peu plus loin il y avait même un espace en plein air pour l’abattage des animaux, j'ai d'ailleurs assisté malgré moi à l'égorgement d'un dromadaire, qui hurlait littéralement à travers tout le camp, je ne recommande pas cette expérience.
On y croisait aussi de nombreux nomades, touaregs et bédouins, venu faire des affaires le temps d’une journée. Redoin nous servait de guide, nous menant parmi les tentes. Nous avons pris le thé avec 2 bédouins sous une toile de jute tendue, avant qu'il nous ramène une assiette de viande grillée, du dromadaire. Bien que sceptique, la viande s'est finalement révélée délicieuse, très grasse mais très goûteuse.
On y trouvait encore une fois tout un tas de commerces, du forgeron qui s'était fait un petit four à même le sol, au vendeur de voitures d'occasion, un coiffeur sous tente, des fruits et légumes à perte de vue... C'était une ville à l’extérieur de la ville.
Le dernier jour, je suis retourné me balader seul dans la médina, photographier la grande mosquée et des jolies échoppes que j'avais remarqué lors de notre première balade.
Dans la ville on trouvait beaucoup de menuisiers d'arts qui fabriquent de beaux objets à partir des bois de la région, et notamment les racines d'arganiers, matériau apparemment très prisé, j'ai discuté tout un moment avec un jeune artisan qui m'a présenté ses produits dans sa minuscule boutique.
J'ai aussi découvert la boutique temporaire d'un Touareg, venu vendre des bijoux fabriqués par sa tribu, il m'a invité à prendre le thé et nous avons longuement bavardé de son mode de vie nomade qui était de plus en plus difficile à faire perdurer, de la solitude du désert, ainsi que des divers symboles touaregs représentés sur les bijoux qu'il vendait.
Peu après, je me suis retrouvé dans une autre boutique qui vendait des minerais géologiques et des cristaux. Alors que je lui demandais si à tout hasard il vendait des fossiles (chose qui m’intéresse beaucoup), le vendeur m'a attrapé par le bras et tiré à l’intérieur en me faisant signe de me taire. Il m'expliqua alors en quelques mots que la région est très riche en fossiles, mais que le gouvernement interdisait leur vente et encore plus leur exportation en dehors du pays.
Il m'a ensuite fait passer dans l'arrière boutique, puis dans une autre salle encore, sans fenêtre, où un autre homme était assis, son frère, occupé avec un Dremel à dégager une mâchoire fossile d'un bloc de pierre. Ils m'expliquaient qu'ils allaient eux même régulièrement dans le désert faire des fouilles et qu'ils vendaient leurs belles pièces à de riches collectionneurs, qui trouvaient le moyen de les faire sortir discrètement du territoire national.
Loin d'être motivés uniquement par l'argent, les deux frères étaient avant tout passionnés de géologie et de paléontologie, leurs connaissances sur le sujet en disait long. Nous avons pris un thé, et ils me montrèrent leurs plus belles trouvailles du moment. J'ai d'ailleurs fini par leurs acheter une dent de mégalodon, requin géant de la fin du Jurassique.